0%
Pourquoi les Kenyans courent-ils plus vite ?

Pourquoi les Kenyans courent-ils plus vite ?

 

Si nous nous accordions pour dire que la Jamaïque est depuis longtemps le berceau du sprint mondial, il existe un autre endroit sur cette planète qui semblerait exister comme un gisement inépuisable de champions de la course à pied. Mais qu’est-ce qui fait que les Kenyans et les Éthiopiens sont aussi forts pour le running ? Ne vous êtes-vous jamais posé la question ? Qu’est-ce qui justifie qu’ils soient si faciles ? Pourquoi gagnent-ils tous les marathons ? Pourquoi nous, Européens, sommes relégués si vite et si loin derrière leurs talons ? Pourquoi aurons-nous beau nous entraîner comme eux, ne parviendrons-nous jamais à les rattraper ?


Par Jean-François Tatard – Photos : Jeff TATARD

« BIEN DIRE FAIS RIRE, BIEN FAIRE FAIS TAIRE ! »

Ce n’est pas que des « dires », il y a aussi une multitude de chiffres qui ne font que confirmer la suprématie est-africaine depuis Abebe BIKILA. Tous les récents records du monde sur marathon ont été battus par des Kenyans ou des Éthiopiens. L’année dernière, les 120 marathons labellisés « international » ont tous été gagnés par des Africains. Regardez le bilan de cette année, on ne trouve pas d’autres nations que le Kenya ou l’Éthiopie dans les 50 meilleures performances mondiales. Et des exemples j’en ai au moins encore autant que de marathons que j’ai courus…

DES EXPLICATIONS ?

Pour expliquer cette emprise africaine sur la course de fond, depuis bientôt trois décennies, tout un tas de scientifiques avancent différentes thèses. Bien évidemment : l’alimentation, la façon de s’entrainer, l’altitude, la charge d’entrainement, (quasi) tout a déjà été étudié. Des mecs se sont même rendus dans les pays de ces athlètes afin de mener des expériences dans leur milieu naturel. Avez-vous lu « Born to run »? Rien à voir avec l’album de Bruce Springsteen, je vous rassure. Ou « Courir avec les kenyans » ? Ce récit d’un journaliste anglais, coureur occasionnel, qui décide de s’immerger pendant 6 mois chez les meilleurs coureurs de la planète pour comprendre leur secret. Et si vous n’aimez pas lire autre chose que les articles de Running Conseil, prenez une soirée pour visionner ce reportage https://m.youtube.com/watch?v=EZIiTXOeS9Q je ne vous en dis pas plus. Je vous laisse vous faire galvaniser par cette heure et demi d’aventure chez le roi Gebre…

L’ALIMENTATION ?

Tout d’abord, sachez que toutes les études sur l’alimentation n’ont rien donné. Des analyses de sang ont montré que celui-ci contenait les mêmes éléments et dans les mêmes proportions que nous autres Européens et quel que soit ce qu’on mangeait.

DES FIBRES LENTES ?

De la même façon qu’on obtient des stats records sur les fibres rapides des sprinters jamaïcains, Pour les fibres musculaires des Éthiopiens et des Kenyans il n’y a rien qui nous confirme qu’ils ont plus de fibres lentes que n’importe quelle autre population. En effet, ça n’a rien donné au niveau de cette étude non plus. Pourtant des biopsies ont été réalisées et la proportion des fibres de type I, de type II A et de type II B et ça nous a donné la même chose chez les Africains que chez les Européens et les Asiatiques.

LA CYLINDRÉE DU MOTEUR ALORS ?

Des tests de VMA et de VO2Max ont été réalisés, mais ils sont identiques à chaque coureur également. D’ailleurs le classement des nations et tous sports confondus à ce niveau est très homogénéisé. Et même presque déséquilibré, puisqu’on ne trouve qu’un seul coureur africain dans la tablette des 10 plus grosses cylindrées de l’histoire. En effet, il s’agit de GEBRE et il est devancé par des cyclistes comme Miguel Indurain et Evgueni Berzin, des skieurs comme Bjørn Dæhlie, des nageurs comme Michael Phelps et le record de tous les temps para Contador avec 99,9ml/min/kg de VO2…

L’ENTRAÎNEMENT ?

Je casse votre fantasme d’emblée. Arrêtez de croire qu’ils s’entraînent plus que nous ou qu’ils encaissent mieux. Leur charge d’entrainement est également équivalente et tous les athlètes du reste du monde ont été capables de supporter les mêmes charges d’entrainement sur plusieurs mois durant toutes les expériences que j’ai pu découvrir.

L’ALTITUDE ?

L’altitude au Kenya et l’Ethiopie est élevée si on la cherche, mais ailleurs dans le monde aussi. On retrouve les mêmes dispositions à Ifrane au Maroc, à Albuquerque aux Etats-Unis ou à Font-Romeu pour les Français.

LE DOPAGE ?

Le sujet développé risquerait de faire polémique et je n’ai surtout pas envie de défendre ou prendre partie pour quiconque. Mais une chose est certaine, même s’il est très possible que ce sont les aspirations profondes de l’individu qui guident sa conduite et ses pratiques, alors lorsqu’il s’agit de courir pour survivre et faire manger le reste du peuple auquel on appartient, on succombe probablement plus facilement à la dérive. Sauf que c’est probablement la même chose avec la reconnaissance et la gloire qui alimentent les envies occidentales. C’est une question de besoins fondamentaux et non de pays. J’en suis certain, on se dope autant et pareil chez les tricheurs ici ou ailleurs.

MAIS ALORS C’EST QUOI ?

Une chose est sûre, c’est que ce n’est pas une question d’origine ou de pays, mais plutôt tout un tas d’autres raisons, qui, associées les unes aux autres, font d’eux des champions d’exception…

  • Vos enfants savent-ils vivre sans internet ?
  • Mieux, savent-ils cohabiter à 5 dans une même chambre de 10 m2 avec pour seul jeu du quotidien des bouts de bois, des cailloux et surtout leur imagination ?
  • Combien sont-ils chez nous à encore aller à l’école à pied ?
  • En moyenne un Kenyan gagne 100 € par mois, Penseriez-vous pouvoir tenir longtemps avec vos besoins actuels ?
  • Êtes-vous capable de courir 20 km pieds nus tous les jours pour aller à l’école ou au travail ?
  • Savez-vous vivre sans eau ni électricité ?
  • Quelles sont les limites de vos capacités d’adaptation en milieu naturel ?
  • Lequel de nos champions de la dernière coupe du monde de football dort encore à même le sol une fois rentré au pays ?
  • Mieux tout aussi célèbre et « riche » que ce champion puisse être continuerait-il à tout (j’ai bien dit tout) partager avec les gens du camp une fois rentré dans sa campagne sans confort moderne ?
  • Combien sommes-nous aujourd’hui encore à nous émerveiller du beau temps comme de la pluie ?
  • Si on parle de loisirs et d’occupations autres que la course à pied, combien d’autres passe temps animent les journées de ces génies de la course à pied ?
  • Et des questions dont vous-même avez la réponse, on pourrait en poser tout l’été…

Mais si je vous dis qu’encore aujourd’hui que nous sommes bientôt en 2022, certains de ces athlètes que nous admirons tant sont obligés de manger l’écorce des arbres pour se nourrir.. 

ET ALORS ?

Alors je peux continuer encore longtemps à vous présenter toutes les runnings que les marques me donnent l’opportunité de tester, on peut toujours continuer à vouloir la dernière paire de chaussures sortie, s’équiper de gels, de barres et de boissons énergétiques qui boostent nos ressources et nos réserves, acheter la plus technique des tenues running, et enfiler les chaussettes de récup ou de contention qui décuplent elles aussi la performance, mais une chose est sûre, tant qu’il s’agira de performance, c’est qu’on sera encore longtemps derrière eux… Et vous savez pourquoi ? Parce que pour la plupart des Africains, courir c’est vivre et vivre c’est courir !

“Pour la plupart des Africains, courir c’est vivre et vivre c’est courir !”

Découvrez tous les articles de Jeff Tatard